Le village, niché dans une région assez conservatrice et traditionnellement à droite, est désormais administré par mon interlocuteur, un élu divers gauche. Il s’est présenté aux élections municipales entre deux candidats de droite et a été élu de justesse il y a plusieurs années à la faveur d’un triangulaire, dépassant de peu ses deux adversaires. Il a redirigé la politique de la commune vers la gauche, allouant le petit budget municipal aux priorités d’intérêt public (l’école du village, une subvention à la cantine scolaire, une tarification basée sur une échelle mobile selon les revenus des familles desservies et autres mesures progressistes du genre). Ensuite sont venues des mesures plus symboliques mais qui ont marqué les esprits : baptiser des squares et rues au nom des figures révolutionnaires qui ont marqué l’histoire du pays (d’Olympe de Gouges en passant par Louise Michel et Jean Jaurès), constituer une équipe municipale très féminisée, puis procéder à des parrainages républicains des sans papiers et autres réfugiés. Il a été ensuite réélu pour un deuxième mandat, cette fois-ci pas malgré le fait qu’il soit de gauche mais parce qu’il est de gauche. Une fois l’expérience faite au cours d’un premier mandat, les habitants du village se sont vite aperçus des bienfaits des mesures progressistes, malgré toutes les limites de la mise en œuvre d’une politique nouvelle dans les confins d’une petite commune dotée de peu de ressources financières.
Bien que je sois Canadien, en entendant mon léger accent anglo-saxon, Monsieur le Maire m’a pris pour un Britannique. Après tout, avec mes cheveux roux et mon consume-cravate couleur marron j’avais l’air d’un personnage sorti d’un roman de Charles Dickens, la parfaite image d’un aristocrate de Sa Gracieuse Majesté. Et dans sa tête j’étais sans doute un fidèle des Tories (le parti conservateur outre-Manche). Après que le tenancier du bistrot nous ait servi nos boissons, Monsieur le Maire était un peu surpris d’apprendre que je suis originaire du pays de la feuille d’érable. Mais il fut encore plus surpris lorsque j’ai mis devant lui un papier que je venais de sortir de mon sac. C’était pour le parrainage d’un candidat aux prochaines élections présidentielles. François Holland préparait déjà sa campagne contre le président sortant Nicolas Sarkozy. Pensant que j’allais peut-être solliciter sa signature pour un des deux Nicolas (Sarkozy ou Dupont-Aignan), quelle était sa surprise d’apprendre que je sollicitait sa signature pour un illustre inconnu (à l’époque), un certain Philippe Poutou, ouvrier de son état et candidat pour le Nouveau Parti Anticapitaliste. En me regardant, il a exclamé « Vous êtes trotskyste ? », démontrant ainsi une certaine culture politique. Il n’ignorait rien de la gauche, y compris de ses courants révolutionnaires.
Notre discussion était plutôt féconde sur le plan des besoins des communes rurales en matière de services publics, de la Politique Agricole Commune de l’Union Européenne et de la dotation allouée aux collectivités locales par le pouvoir central, nettement insuffisante compte tenu des nouvelles responsabilités attribués aux communes. Ravi d’avoir rencontré un « camarade » de son camp politique dans la peau d’un Anglo-saxon aux allures d’aristocrate britannique, il n’était pas encore décidé quant à sa signature pour les présidentielles. Il m’a demandé si on pouvait se voir dans 15 jours pour continuer notre discussion. Aussitôt dit, aussitôt fait et j’étais de retour au village deux semaines après, mais sans mon costume cravate cette fois-ci. Au final, j’ai fait choux blanc. Compte tenu des pressions qui pèsent sur les maires ruraux (leur parrainage des candidats aux présidentielles est publié dans le Journal Officiel) et compte tenu de son propre penchant politique, il a fini par donner sa signature au candidat qui s’est présenté pour le Front de Gauche, un certain Jean-Luc Mélenchon. Mais bon, je préfère ça qu’un parrainage en faveur de Nicolas Sarkozy, Nicolas Dupont-Aignan ou Marine Le Pen, le choix fait par nombre de ses collègues dans d’autres communes du département. Puis Philippe Poutou a fini par avoir ses 500 parrainages et s’est présenté aux élections présidentielles en 2012. Toujours est-il, c’était un vrai cas d’école qui confirme l’adage que l’habit ne fait pas le moine.
(suite avec le prochain article)
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