Après la chaleur d’une rencontre réussite, il y a parfois le froid glaciale d’une mission ratée. C’est plus rare mais ça m’est déjà arrivé. Je peux difficilement oublier une mission d’interprétariat que j’ai faite le 30 novembre 2017. Le client était le CIBE, Comité Interprofessionnel du Bois-Énergie. Un sujet technique comme un autre et ma collègue Lucie et moi, nous avions bien étudié la documentation en amont. Les participants venaient des quatre coins de la France et du Royaume-Uni. Alors le plus logique aurait été que les confrères de ces deux pays se rencontrent à mi chemin, sur les rives de la Manche. Puisque c’est l’instance française qui était à l’initiative de la conférence elle à choisie une terre connue des deux : la Normandie, une région anciennement anglaise, actuellement française. La rencontre s’est déroulée au Havre, sur ce bout de terre qui se jette dans la Manche, un port maritime de longue date où les marins des deux pays se sont longuement croisés dans le cadre des échanges commerciaux.
Fidèle à mes habitudes j’ai pris mon vélo dans le train et je suis descendu au bout de la ligne. Plus loin que ça et on serait face à l’Angleterre. La distance entre la gare SNCF et le port n’était pas si grande et c’est bien près de l’eau que les organisateurs avaient loué une salle pour les besoins de la cause. J’ai voulu en profiter pour visiter un peu cette ville d’une architecture assez fascinante, entièrement reconstruite comme d’autres villes normandes après les bombardements de la Seconde guerre mondiale. Mais comme vous pouvez imaginer il fait un peu frais à la fin novembre sur le bord de l’eau et il commençait à pleuvoir. Alors j’ai mis le cap sur l’hôtel où je me suis réfugié pour la nuit. Heureusement il y a des thermostats dans des hôtels. Assez gelé, j’ai augmenté la température un peu dans ma chambre. Le lendemain matin le trajet en vélo vers la salle de conférence n’était pas plus agréable. Une fine pluie tombait et le vent soufflait. Une fois dans l’immeuble j’étais content d’enlever mon manteau, mon chapeau, mon écharpe, mes gants, mes bottes et mon pantalon imperméable que d’autres utilisent pour des parties de pêche au saumon ou de chasse aux canards à l’aube. Après tout, mes vêtements en-dessous étaient secs. Et pourtant, ce froid ne me quittait pas. Au début j’ai pensé que la petite nature que je suis était un peu trop frileuse mais voilà, je n’étais pas le seul à manifester mon inconfort. Ma collègue Lucie, l’organisatrice qui nous avait engagée, puis les invités anglais ont tous commencé à claquer des dents avant que les délégués français n’osaient à leur tour montrer des signes d’inconfort. Il n’y avait pas de chauffage dans la salle ! Ou si peu. Assez pour que les tuyaux ne gèlent pas mais pas suffisamment pour mettre les gens à l’aise.
On a immédiatement averti le personnel technique qui nous a assuré qu’il allait augmenter la température mais compte tenu de la salle (un grand auditorium) cela prendrait un certain temps. Peu importe ; la chaleur était en route alors on était tous rassurés. Sauf que la chaleur tant promise ne fut jamais au rendez-vous. Quel gaspillage d’une opportunité de travail fructueuse ! Des délégués de toute une profession, réunissant des acteurs économiques allant du nord de l’Écosse jusqu’à Perpignan dans le sud de la France, se sont retrouvés sur les rives de la Manche une journée pluvieuse d’automne en claquant les dents. C’est tout juste si certains n’ont pas eu envie de sortir de là en claquant la porte. À la pause café du matin personne ne se s’est intéressée aux pâtisseries offertes, pourtant de qualité. Tout le monde s’est roué vers les bouilloires et cafetières pour prendre un thé, une tisane, un café ou un chocolat chaud, histoire de se réchauffer un peu. Eux qui produisent et commercialisent des chaudières et du bois de chauffage, un comble ! Après la pause déjeuner, la salle était encore une énorme chambre froide.
Je ne suis pas venu travailler dans cette cité normande pour attraper un rhume. Le légendaire civisme anglais et la légendaire élégance française voulait que les délégués des deux côtés de la Manche gardent les apparences, se contenant de rester assis, stoïques, dans leur costume cravate comme si de rien n’était. C’était au tour de Lucie d’interpréter pour la première demi-heure après le déjeuner. Alors après avoir mangé un repas frugal (un buffet froid !) je n’ai pas traîné dans la salle à manger plus longtemps que nécessaire. Je suis allé… vers le vestiaire à l’entrée de l’immeuble. J’ai aussitôt enfilé mon manteau, mon chapeau, mon écharpe, mes gants et mes bottes et je suis retourné dans la salle de conférence, encore vide, les autres préférant rester dans la cantine. L’auditorium est un genre d’amphithéâtre avec les premières rangées de bancs en bas près de la tribune et les dernières rangées situées beaucoup plus haut, carrément un étage au-dessus. C’est là où je me suis planté, derrière un des bancs, hors de vu des délégués assis à proximité de la tribune. J’ai pris mon sac avec moi qui sert à ranger ma documentation et je l’ai utilisé comme oreiller. J’ai regardé ma montre, je me suis allongé, j’ai posé ma tête sur le sac, j’ai fermé les yeux et j’ai piqué un somme pendant d’autres commençaient à piquer une crise.
Quand ma demi-heure de service s’est approchée, je me suis approché de la tribune pour prendre la relève de Lucie, en train d’interpréter et de grelotter en même temps. En descendant la longueur de l’auditorium j’ai successivement enlevé mon chapeau, mon écharpe, j’ai déboutonné mon manteau mais j’avais encore les bottes aux pieds. Je faisais ainsi un genre de strip-tease en marchant vers mon poste de travail pour prendre le micro dès que Lucie aurait fini d’interpréter pour un des intervenants. Même si j’avais mon costume cravate en-dessous de ces couches hivernales extérieures, tout le monde voyait que je me déshabillais en marchant vers la tribune. Et alors ? Que je sois la seule personne dans la salle qui ait osé s’habiller convenablement pour ne pas tomber malade, cela me laissait de marbre. Et cela me laissait surtout en bonne santé. Lucie a fait la même chose quand son tour est venu pour me remplacer au micro une demi-heure après. Puis timidement, ici et là, on voyait des participants, tant français qu’anglais, qui sortait de la salle pour aller vers le vestiaire et revenir manteau sur le dos, parfois avec écharpe autour du cou et chapeau sur la tête. À la fin de la journée le vestiaire était presque vide. À quelques exceptions près, tout le monde avait déjà son manteau sur le dos… à l’intérieur de la salle.
Il est de mise pour une conférence internationale que les organisateurs essaient d’offrir un accueil chaleureux à leurs invités étrangers. Cette fois-ci, c’était raté.
(suite avec le prochain article)
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