Le mois suivant, changement de décor. Je me suis retrouvé dans un bâtiment historique entièrement rénové dans les environs de Dijon, transformé en salle de conférence ultra moderne avec sonorisation parfaite, audiovisuel dernier cri pour la projection de diapos et vidéos, etc. À l’extérieur, l’histoire et le patrimoine de l’architecture bourguignonne. À l’intérieur, la modernité et le confort d’une salle de conférence du 21ème siècle. Un beau mariage entre le passé et le présent, le tout assurant un avenir radieux pour ceux et celles qui savent s’en servir.
C’est l’ambassade de l’Afrique du Sud qui organisait cette conférence, car elle s’est insérée dans un projet de coopération décentralisée entre le Conseil régional de Bourgogne et la province sud-africaine de Gauteng (région de Johannesbourg). L’Afrique du Sud post apartheid avait – et a toujours – le défi de réduire les écarts criants entre les niveaux socio-économiques dans le pays, ce qui recoupe une division territoriale et surtout raciale, toujours à surmonter. Bien que débarrassés du régime de la séparation raciale – et contrairement à leurs compatriotes blancs – les Métis, les Indiens et surtout les Noirs ne bénéficient pas encore d’un partage équitable des richesses du pays.
Outre la formation professionnelle, cette série d’échanges concernait également l’aménagement urbain et l’assainissement des eaux usées. Il y avait donc un volet technique à étudier afin de bien se préparer pour cette conférence. Pas de problème, elle s’est déroulée comme du papier à musique et les participants étaient visiblement contents, avec un certain nombre de projets de coopération bilatérale dans leurs valises à l’issue de la conférence.
Après les choses sérieuses, on a eu droit à une visite de Dijon, dont une ancienne usine de moutarde qui a fait la renommée de la région, ainsi que le centre historique, une cité médiévale avec ses rues étroites, ses bâtiments à colombages, ses tourelles et ses toits typiquement bourguignons. Laissez tomber la chemise, c’était un moment de détente après deux jours de travaux sérieux entre les élus bourguignons, sud-africains et leurs équipes techniques respectives. De retour à la salle de conférences pour l’acte dernier, c’était le moment d’échanger des cadeaux. La Vice-présidente du Conseil régional de Bourgogne a offert un beau livre de collection à ses invités sud-africains sur l’histoire de la région. Côté sud-africain, le chef de la délégation a sorti de son sac un précieux souvenir de son pays… une bouteille de vin rouge de la région du Cap, réputée pour ses vins. S’il y en a qui ont laissé tomber la chemise, d’autres ont vu rouge, Madame la Vice-présidente en premier. Car c’est quand même un secteur pour lequel les deux régions – celle du Cap et celle de la Bourgogne – sont toutes les deux réputées. Il s’agit de leurs bons vins. Il n’y a pas que la moutarde à Dijon ! En tout cas, la moutarde est légèrement montée au nez de certains participants en voyant cette bouteille de vin rouge qui a parcouru plus de 12 000 kilomètres pour aboutir dans cette salle de conférences située à peine à quelques encablures des vignobles bourguignons. Elle a failli déclencher un incident diplomatique.
Au final, d’où vient l’excellence des vins sud-africains ? Elle vient en grande partie du savoir-faire des Huguenots, ces protestants français qui ont fui l’Hexagone au 16ème siècle après les massacres de la St-Barthélémy. Certains ont posé leurs valises au bout du continent africain où ils ont su planter des vignes sur les pentes du massif de la Province du Cap, une région qui bénéficie d’un sol hospitalier, avec un microclimat favorable à la culture du raisin. Les guerres de religion d’il y a cinq siècles – outre leur terrible bilan humain – ont provoqué une véritable saignée des forces vives de la nation. C’est un des événements qui a poussé certains Français à s’exiler. Bien que l’Afrique du Sud n’ait jamais su maintenir une poche de la francophonie dans son beau pays, un certain savoir-faire bien français s’est installé pour la postérité. Alors tous les participants à cette conférence, Français et Sud-africains réunis, ont levé un verre en guise de vin d’honneur afin de célébrer le succès de cette rencontre et l’amitié franco-sud-africaine. La coopération internationale a eu raison des rivalités régionales et des orgueils nationaux. Ainsi, les participants de la conférence ont tous laissé tomber la chemise.
(suite avec le prochain article)