Au mois de mai, fait ce que te plait. Cet adage était respecté à la lettre par Emma, une jeune femme britannique qui a acheté un appartement dans le 9ème arrondissement, un quartier plutôt prisé de la capitale française. Trouvant mes coordonnées dans les Pages Jaunes, elle m’a appelé pour savoir si je pouvais l’accompagner chez le notaire pour signer l’acte de vente. Elle ne parlait qu’un français sommaire et ne pouvait surtout pas comprendre les subtilités juridiques dans l’acte de vente sans l’aide d’un interprète. C’était un plaisir de l’accompagner sur cette mission. Spécialisé dans le domaine de la traduction et de l’interprétariat juridiques, je travaille pour beaucoup de notaires, d’avocats, de magistrats et autres responsables des services contentieux. C’était loin d’être le premier acte de vente que j’interprétais pour un acheteur étranger et c’était loin d’être le dernier. Sur le plan technique il n’y avait aucun secret pour moi : je connais désormais les actes de ventes presqu’autant que les notaires.
Emma était accompagnée d’une copine, qui est également une de ses collègues. Elles travaillent toutes les deux dans le domaine de la mode. Paris était donc un point de chute logique pour ces jeunes stylistes britanniques. Au fur et à mesure de la lecture de l’acte, Emma a posé quelques questions sur les tenants et aboutissants de telle ou telle clause. Entre les subtilités de la langue française et celles du Code Civil qui impacte les droits et devoirs des propriétaires immobiliers, il fallait clarifier certains points. À la fin de l’exercice, juste avant de signer l’acte de vente, le notaire a demandé à sa cliente si elle avait d’autres questions de clarification. Elle a sauté sur l’occasion pour lui demander des conseils… en matière d’achat de tissus et de patrons pour la création d’une nouvelle collection de vêtements prêt-à-porter pour femmes. Ce qui nous a fait bien rire. Le notaire l’a référé à son épouse pour avoir quelques éléments de réponse. Emma a donc rebondi avec une question pour savoir qui contacter afin d’agrandir la garde-robe dans la chambre. On voit donc le centre de ses préoccupations. Encore une fois, c’était une question qui ne tombait pas sous les compétences professionnelles du notaire. Sans autres échanges en rapport direct avec l’acte de vente, on a procédé à la cérémonie de signatures.
Cette jeune femme à peine sortie de l’adolescence a remercié le notaire et moi-même, disant que l’achat d’un appartement à Paris faisait parti du processus permettant d’entrer dans la vie d’adulte. Pour ma part, bien que j’aie travaillé toute ma vie, je n’ai jamais eu les moyens d’acheter un bien immobilier. Et voilà, cette jeune débarque à Paris et achète un logement comme d’autres achète un meuble. Sa famille a apparemment les moyens qui manquent à la mienne. Ainsi soit-il, car la vie est un loto. Certains sont bien nés, d’autres un peu moins. Et la grande préoccupation de cette jeune styliste était la taille de la garde-robe dans l’appartement parisien qu’elle venait d’acquérir. Quant à moi, une de mes préoccupations est de pouvoir payer le loyer en temps et en heure dans le logement social que j’occupe. Si les garde-robes pouvaient parler, elles auraient sans doute des histoires intéressantes à raconter au sujet des personnes qui les utilisent.
(suite avec le prochain article)