L’Afrique du fric, c’est chic (1)

Un beau jour au mois de mai 2011 un collègue m’a appelé pour savoir si je pouvais me libérer dans les 48 heures afin de l’accompagner sur une mission d’interprétariat de quatre jours. Heureusement c’était le cas alors après l’avoir remercié d’avoir pensé à moi je lui ai demandé les questions habituelles : où, quand, quel est le domaine traité, dispose-t-il de la documentation pour cette mission, combien ça paie, etc. Je m’attendais à une mission routinière dans une entreprise quelconque à Paris ou en banlieue. Surprise ! On est invité à interpréter au Palais présidentiel.

Non, pas à l’Élysée mais dans une capitale africaine à quelques milliers de kilomètres de là. En fait, c’était pour une conférence de deux jours. La première journée était pour voyager là-bas et la dernière pour retourner en France. La paie était correcte, tenant compte des jours de déplacement. Première étape : réservation des billets d’avion par internet (première classe, SVP), le tout pris en charge par l’État hôte. Deuxième étape : l’ambassade du Togo à Paris le lendemain où Monsieur l’Ambassadeur en personne nous attendait pour nous octroyer en extrême urgence un visa de travail pour ce déplacement. Le soir même on était à Roissy pour un vol de nuit vers Lomé en Afrique de l’Ouest, reçu à l’aéroport là-bas par une ministre du gouvernement togolais accompagnée de deux fonctionnaires. On a pu dormir un peu dans l’avion et la toute première journée au Togo a commencé doucement en fin de matinée avec une réunion d’orientation avant de passer aux choses sérieuses dans l’après-midi. Alors on a pu se reposer un peu plus à l’hôtel avant de se rendre au Palais présidentiel… dans une jeep de l’armée togolaise, escortés par des militaires.

Le donneur d’ordre pour cette mission n’était nul autre que Son Excellence Faure Gnassingbé, Président de la République togolaise, à la tête du pays – et toujours en poste au moment d’écrire ces lignes – depuis la mort de son père en 2005, à qui il a succédé dans le fauteuil présidentiel. Cela fait maintenant 62 ans sans interruption que la dynastie Gnassingbé est au pouvoir dans cette ancienne colonie française, un des pays souvent décrit comme faisant partie de la Françafrique. C’était avec l’aval de Jacques Chirac, président français en 2005, que l’actuel président togolais accédait au pouvoir. À l’approche d’un demi-siècle de pouvoir le clan Gnassingbé était déjà aux prises avec une opposition qui réclamait l’alternance mais qui était durement réprimée. Des révoltes populaires réclamant un changement – parfois noyées dans le sang – ont éclaté depuis, mais le régime est toujours soutenu par Paris.

Avec une petite minorité anglophone dans le pays, il y a bien des interprètes togolais parfaitement qualifiés qui auraient pu travailler à cette conférence. Mais méfiant de son opposition et de tous les prestataires de services dont il n’était pas sûr de la loyauté politique, le Président Gnassingbé a trouvé plus sûr de faire venir des interprètes de l’étranger. La France, ancienne puissance coloniale, était le choix logique. Pourquoi engager des interprètes qui habitent Lomé quand on peut faire venir d’autres de Paris à prix d’or ? En tout cas, j’ai remporté avec moi un souvenir inoubliable de cette mission : le virus du paludisme, dont je suis désormais porteur à vie. Heureusement je n’ai pas été atteint par la maladie mais j’ai bien été piqué par un moustique là-bas qui a décidé de me le transmettre. Conséquence : je ne peux plus donner mon sang à la Croix Rouge, chose que j’ai fait régulièrement toute ma vie jusqu’à ce moment-là. Qu’on n’ait pas eu le temps de prendre des médicaments contre la malaria en prévision de cette mission – puisqu’on était sollicités à la dernière minute – était le dernier des soucis du gouvernement togolais. Vaut mieux des interprètes parisiens « neutres » que des interprètes togolais suspects.

(suite avec le prochain article)

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