Françafrique, le retour (2)

La première fois que je suis allé à Djibouti dans des conditions ubuesques j’ai pris un vol de Paris avec escale à Addis-Abeba, la capitale de l’Éthiopie. C’est au moment de monter dans l’avion à Paris que j’ai éprouvé un peu de difficulté à marcher, sans trop comprendre pourquoi. C’était sans doute le lacet d’une de mes chaussures qui était mal attaché mais j’ai suivi la foule jusqu’à l’embarquement, ne voulant pas ralentir les gens derrière moi. Une fois installé dans l’avion j’ai regardé mes chaussures. Le problème était bien avec un de mes lacets, que je me suis empressé d’attacher bien fort quand tout à coup… il a cédé et s’est coupé en deux. Que faire ? Je n’avais pas une autre paire de lacets dans le petit sac de voyage que j’avais pris à bord mais la question était de savoir si j’en avais une dans ma valise dans la soute. Je croyais que non et dans ce cas il aurait fallu en acheter une avant de commencer ma mission d’interprétariat. Même pour marcher dans l’aérogare, changer d’avion pour le vol d’escale, marcher jusqu’au taxi, déambuler dans l’hôtel, etc. ce serait quand même bien de pouvoir attacher mes souliers comme il faut. Alors arrivé à Addis-Abeba j’avais cette idée en tête.

En attendant mon deuxième avion pour Djibouti j’ai arpenté la petite gallérie marchande à l’aéroport de la capitale éthiopienne, entre les photos du pays de Haile Sélassie, des rastamans et des portraits de Bob Marley, ce chanteur qui a popularisé une certaine image du pays, construisant le mythe du royaume africain indépendant et fier. Les écriteaux en anglais et en amharique, la langue du pays avec son alphabète immédiatement reconnaissable, donne l’ambiance. Puis tout d’un coup j’arrive devant l’échoppe d’un cordonnier. Banco ! Je peux acheter une nouvelle paire de lacets avant le départ de mon vol pour Djibouti. J’ai fait la demande au cordonnier en anglais, une langue pratiquée par beaucoup d’Éthiopiens. Il m’a tendu des lacets et j’ai sorti de ma poche quelques pièces d’euros, demandant combien ça coûte. Seulement, même si l’euro est une devise forte acceptée dans beaucoup de pays, elle n’est pas acceptée partout et il n’est pas acceptée en Éthiopie. Le cordonnier m’a répondu « 200 Birr », la devise éthiopienne (soit une valeur de 6 centimes d’euro). Je lui ai dit que je n’étais que de passage sur un vol d’escale et que je n’avais pas de birr sur moi. Pas de problème, il m’a dit que je trouverai à deux pas un bureau de change où je pourrais changer mes euros en devises éthiopiennes. Seulement, je n’avais jamais été en Éthiopie avant, je ne l’ai jamais été depuis non plus, je n’étais que de passage et je ne voulais pas changer 10 euros (le plus petit billet que j’avais sur moi) pour avoir l’équivalent en birr, une monnaie que je n’utiliserais probablement plus jamais. Surtout que je devais changer mes euros pour des francs djiboutiens une fois rendu à ma destination finale. J’ai expliqué tout ça au cordonnier mais il n’y avait rien à faire. C’était 200 birr ou rien, sinon il ne pourrait pas me vendre les lacets. Je l’ai remercié quand même mais j’ai décliné l’offre. Je me suis dit que j’achèterais une nouvelle paire de lacets à mon arrivée à Djibouti.

L’aérogare de Djibouti était encore plus spartiate que celle d’Addis-Abeba avec à peine quelques petites boutiques mais pas de cordonnier ni de magasin de chaussure. En prenant un taxi à la sortie de l’aérogare j’ai donné au chauffeur l’adresse de l’hôtel et je lui ai demandé en passant s’il connaissait un magasin de chaussures en route. Il m’a rappelé qu’on était dimanche et que les magasins étaient fermés. Alors pas le choix, on file pour l’hôtel, en espérant que cet établissement de luxe aurait une boutique de chaussures dans ses murs chez qui je peux acheter une paire de lacets. Pas de pot, ce n’était pas le cas. Alors le seul espoir était de pouvoir aller en ville avant le début de ma journée de travail lundi afin d’acheter cet obscur objet de désir, si banal et pourtant si nécessaire.

J’ai bien dormi et j’ai bien mangé mon petit déjeuner à l’hôtel. Cet établissement est comme un État dans l’État. Avec une clientèle exclusivement étrangère et très majoritairement occidentale, le Ramadan ne s’applique pas dans ses murs. On mange, on boit et on fume à tout heure de la journée, même s’il y a un certain nombre d’employés djiboutiens qui, eux, font le jeun. Ils mangent avant l’aube et servent les autres ensuite car ça fait partie de leur travail. Après le petit déj je me suis décidé à aller faire un petit tour en ville avant le premier entretien mais pas de pot, l’horaire originalement prévu était chamboulé à cause des disponibilités des uns et des autres chez nos interlocuteurs djiboutiens. Le chef du projet m’a laissé monter dans ma chambre pour me brosser les dents mais il m’a demandé de redescendre aussitôt habillé de mon costume cravate. Direction le Ministère de l’Intérieur pour le premier entretien. J’ai obtempéré en pensant à mon pied gauche mal chaussé.

Avec le chef du projet, flanqué de ma personne et de deux avocats britanniques, nous sommes montés dans un taxi pour traverser la ville et aboutir au Ministère de l’Intérieur, endroit hyper protégé qui inspire la peur aux citoyens du pays, chef-lieu de la police, de la gendarmerie et d’une unité d’élite de l’armée. Ce premier entretien a été mené avec plusieurs officiels hauts placés, dont le ministre de l’Intérieur en personne et l’ancien Premier ministre. Après une matinée de discussions je commençais à ressentir la soif, la fatigue et cette histoire de lacet – que j’ai réussi à dissimuler jusque là – commençait à m’agacer. Aucune pause café ou pause déjeuner n’étaient prévue car pendant les heures du jour car on ne boit pas de café et on ne mange pas de repas. Tout d’un coup le ministre de l’Intérieur a dû s’absenter pour répondre à un appel téléphonique important, interrompant ainsi la séance. Avec cette pause inespérée l’ancien chef de l’administration, qui était assis à côté de moi, s’est levé pour dégourdir ses jambes en faisant quelques pas. J’en ai profité pour me baisser afin de m’occuper de cette foutue de chaussure quand un des participants est revenu. Je ne pouvais pas décemment mettre mon pied sur la table basse devant nous car ce n’est pas poli. Alors je suis resté courbé en position assise, essayant de mieux attacher cette chaussure dans la mesure du possible. Pensant être relativement seul, j’ai entendu un bruit et j’ai relevé la tête. J’ai aussitôt vu l’ancien Premier ministre devant moi. Il a demandé : « Qu’est-ce qu’il y a Monsieur Wagman ? Avez-vous un malaise ? Est-ce que tout va  bien ? » Merde ! Il m’a pris la main dans le sac dans une mauvaise posture, plutôt embarrassant. J’ai répondu : « Oh non, Monsieur le Premier ministre, tout va bien », sans convaincre. Il me fixait avec un drôle de regard pendant que je me redressais. Le ministre de l’Intérieur est revenu à ce moment-là, a repris sa place et les avocats ont aussitôt continué la discussion mais je me sentais un peu mal à l’aise. J’ai regretté ne pas avoir changé 10 euros pour des birr dans l’aérogare d’Addis-Abeba.

Moral de l’histoire : si les enfants du cordonnier sont mal chaussés, les interprètes ont intérêt à être plus chic en mission juridique. Après tout, il ne faut pas paraître trop gauche ou suspect devant des représentants gouvernementaux aussi haut placés, quoi qu’on puisse penser par ailleurs du régime en place.

(suite avec le prochain article)

71 Commentaires sur “Françafrique, le retour (2)

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