Il ne faut pas trop en demander

Pour les missions d’interprétariat on attend à ce que l’interprète exerce son métier avec de la classe, c’est-à-dire bien habillé. Tailleur impeccable pour les femmes, costume cravate pour les hommes, coiffure irréprochable et chaussures cirées, car une bonne présentation physique, c’est chic. Mais il y a des exceptions, dont certaines font bien rire.

Une de ces exceptions m’est arrivée à l’occasion d’une rencontre politique. J’avais déjà interprété pour Dominique Strauss Kahn, à l’époque ancien ministre des Finances de Lionel Jospin et pas encore Directeur général du FMI, donc bien avant qu’il ne soit accusé d’agressions sexuelles et de viol. Après cette première prestation pour DSK, j’ai ensuite interprété pour un courant qu’il a lancé au sien du Parti socialiste baptisé « En avant pour l’Europe ». C’était en 2004 lors d’une rencontre à Paris réunissant des représentants de partis sociaux démocrates de plusieurs pays, dont la Grande-Bretagne. Puisque il s’agissait de l’interprétariat consécutif, j’étais à côté des intervenants à la tribune, alternant au micro entre les discours en français et ma traduction orale en anglais. J’étais donc bien visible pour tout le monde, pas caché dans une cabine sonorisée au fond de la salle. En entrant dans les lieux avant le début de la conférence tout le monde connaissait tout le monde : des proches de DSK, des élus, des hauts fonctionnaires et surtout des dirigeants du Parti socialiste. On m’avait dit au moment de passer la commande que ce n’était pas nécessaire que je vienne habillé en costume cravate, car la rencontre était prévue comme étant « décontractée ». Alors je me suis présenté avec une chemise couleur unie, un pantalon impeccablement repassé, des chaussures cirées et… un badge. Lequel affichait un seul mot : la paix. Sujet consensuel chez toute personne qui se respecte et qui se prétend socialiste. Mais visiblement c’était trop pour le PS ! Il faut dire que ce mot était inscrit sur le badge en trois langues : français, hébreu et arabe. Le sous-entendu est évident : pour la paix entre Israéliens et Palestiniens.

La suite est encore plus marrante. Dès le gardien de sécurité à l’entrée de l’immeuble, en passant par chacun que j’ai croisé dans le hall d’entrée, dans le corridor menant à l’auditorium, dès le premier rang des chaises dans la grande salle et jusqu’à la tribune j’ai fini par voir tous les dirigeants qui comptent dans l’entourage de DSK (que des hommes ; je n’ai croisé aucune femme sur ce trajet). Et chacun me tenait les mêmes propos : « Monsieur, je suis entièrement d’accord avec vous. Mais je vous en prie, pouvez-vous enlever ce badge, SVP ? » Alors tous d’accord mais tous peureux de se voir devant la presse en compagnie d’une personne qui s’affirme en faveur de la paix au Proche-Orient. Évidemment je n’ai pas fait mon difficile ; j’ai enlevé le badge à la demande générale. C’est loin d’être la seule contradiction du Parti « socialiste », formation politique dont le prédécesseur a été fondé – il faut se le rappeler – par le grand pacifiste qui était Jean Jaurès. Mais se dire pour la paix au 21ème siècle est apparemment trop à gauche pour les éléphants du PS, en commençant par les amis de DSK. Décidément, il ne faut pas trop en demander à des « socialistes » comme ça!

(suite avec le prochain article)

6 Commentaires sur “Il ne faut pas trop en demander

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